3. 1981/82 : LA RÉGULARISATION SOUS LA GAUCHE

3.1 LA MOBILISATION CONTRE LA LOI BARRE-BONNET


Pour bien saisir la nature et l’importance de toutes les mobilisations de sans papiers, il est nécessaire de les restituer dans leur contexte, en particulier le renforcement de la politique de contrôle de l’immigration dans les années 70. Le projet de loi Barre-Bonnet est le premier texte politique d’ensemble, depuis 1945, qui tente de réglementer l’entrée et le séjour des étrangers en France. Le durcissement est nettement affirmé.


Comme pour la circulaire Fontanet-Marcellin en 1972-73, le projet de loi Barre-Bonnet en 1979-80 va pousser un grand nombre d’immigrés avec ou “ sans papiers ” à se mobiliser. Le mouvement antiraciste et démocratique, les syndicats vont cette fois prendre la mesure du problème et agir en solidarité. Ainsi, dès 1978 va se constituer le collectif “ SOS-Refoulement* ” qui va durant des mois organiser des permanences juridiques et d’accueil.


Par ailleurs vont se multiplier les différents collectifs locaux de solidarités avec les immigrés. Ils donneront naissance, avec un rôle particulièrement actif des associations d’immigrés membres de la Maison des Travailleurs Immigrés (MTI*) à la “ Coordination Nationale des Collectifs et Comités Antiracistes ” qui organisa notamment la grande marche nationale contre les lois anti immigrés qui a rassemblé, le 10 mai 1980, plus de quinze mille personnes à Paris. Parallèlement vont avoir lieu deux meetings contre ces lois. L’un organisé le 20 avril 1980, à Paris, avec plus d’un millier de participants. Le  second le 23 novembre 1980, co-organisé par la MTI et la Coordination a rassemblé plus de mille cinq cents personnes pour dénoncer le climat de xénophobie, les rafles et expulsions qui se multiplient dans le pays. Ce meeting sera un moment de convergence de toutes les luttes du moment.
Une autre grande manifestation nationale aura lieu le 4 avril 1981, toujours contre le climat d’insécurité et les lois racistes.


Dans la même période (de 1979 à 1981) nous allons assister à une multiplication des luttes de travailleurs immigrés employés dans les entreprises de sous traitante (nettoyeurs de la RATP, des wagon lits à la SNCF, de l’aéroport de Roissy ..), des mineurs marocains de Lorraine ... et surtout des jeunes issus de l’immigration (manifestation à Bondy de 5000 personnes contre les agressions racistes et sécuritaires, grève de la faim à Lyon ...).
 

3.2 LES PREMIÈRES GRÈVES DE LA FAIM ET LE PROCESSUS DE MOBILISATION


- Le 22 Avril 1981, grève de la faim de 19 Tunisiens sans papiers à Massy (91).
Cette grève est en fait une réponse à la rafle qui s’est déroulé le 3 février 1981, à 5 h du matin, au foyer  Sonacotra Ampère où les policiers embarquent 68 résidents pour contrôle des papiers. Trois personnes sont expulsées sur le champ en Tunisie, et 65 autres relâchées avec un préavis de 48h pour quitter le territoire. Soutenue par de nombreuses associations et syndicats, la grève durera 18 jours, jusqu’au 10 mai, jour de l’élection de François Mitterrand aux Elections Présidentielles.


- Le 9 mai 1981 : à Châlon sur Saône, grève de la faim de 7 (puis 16) travailleurs sans papiers, au nom de 150 autres sans papiers, soutenue par les associations de la MTI et les syndicats. Elle durera 20 jours. 


Ces deux grèves de la faim vont finalement aboutir à des solutions positives au niveau des Préfectures. En même temps, chacune à sa manière, elles expriment l’analyse de la situation politique à la veille des élections de 1981 : L’une, celle de Massy, faisant totalement confiance aux promesses de régularisation de la gauche si elle parvient au pouvoir, l’autre à Châlon  voulant marquer l’autonomie de décision des sans papiers qui ont au contraire choisi la veille du second tour des élections pour déclencher leur mouvement.


Le 15 juin 1981, prenant justement appui sur l’issue positive des deux grèves de la faim, deux associations de la MTI, l’AMF* et l’UTIT* font parvenir une lettre aux Préfets de Paris et de la Seine St-Denis pour leur demander l’ouverture de discussions et la régularisations des sans papiers de leurs départements.
Ces lettres commencent par “ nous sommes plusieurs dizaines de travailleurs immigrés, “ sans papiers ”, résidant et travaillant en France ”. En effet, dès le mois de mars 1981  les deux associations de la MTI (rejoint plus tard par l’ATT, le CTA*...) diffusent un tract sur les marchés et dans les permanences du collectif SOS-Refoulement appelant les sans papiers à se mobiliser et à se rendre aux permanences “ spéciales sans papiers ” qui se tenaient quotidiennement dans les locaux de la MTI. Dès lors, de permanences en assemblées générales, en passant par de multiples mobilisations, le mouvement va s’organiser et s’installer dans la durée - près d’un an - et toucher des milliers de sans papiers (quinze mille pour la seule région parisienne et la MTI). 


3.3 L’ARRIVEE DE LA GAUCHE ET LA RÉGULARISATION EXCEPTIONNELLE


Lors d’une réception organisée par Mme N. Questiaux, à peine nommée Ministre de la Solidarité Nationale un rendez vous est pris avec son cabinet pour discuter des problèmes des sans papiers. Etaient présents à cette réunion outre la MTI, la FASTI* et le GISTI.


Le nouveau pouvoir va commencer à mettre en oeuvre les premières mesures concernant l’immigration en particulier :


- la Circulaire du 27 mai 1981 du Ministère de l’Intérieur qui suspend les expulsions décidées avant le 10 mai 81.
- la circulaire du 11 août qui définit les modalités de l’opération exceptionnelle de régularisation
- D’autres mesures jusqu’au projet de loi Defferre abrogeant et remplaçant la loi Barre-Bonnet de 1980.


Le débat sur la procédure de régularisation sera alimenté entre autre par les diverses estimations du nombre de sans papiers. Les estimations les plus sérieuses avancent alors le chiffre de trois cent mille (300 000).


Quant à la régularisation proprement dite, c’est autour de conditions imposées que les débats et les polémiques vont avoir lieu. En effet, la circulaire du 11 août 1981 définit deux conditions principales de l’opération de régularisation qui commencerait le 30 août 1981 et se terminerait le 31 décembre de la même année (cette date sera reportée à deux reprises en janvier et février 82 sous la pression des associations).


a)    être entré en France avant le 1er janvier 1981.
b)    avoir un emploi stable et un contrat de travail d’un an.

Ces conditions très limitatives sont à l’origine d’une bataille pour en exiger l’assouplissement. Les associations de la MTI mais aussi la FASTI, le GISTI, la CFDT ... ainsi que de nombreux groupes politiques de l’époque vont y participer (les Permanences Anti-Expulsions (PAE)(*), Le Comité de Coordination des sans papiers en lutte (*). Des polémiques vont voir le jour entre les différentes conceptions de défense des sans papiers, ce qui ne manquera pas de provoquer une certaine confusion dans la mobilisation :


- Le 25 juillet, meeting à la Bourse du Travail à Paris organisé par la MTI
- Le 31 octobre, meeting à nouveau à la Bourse du Travail, organisé par la MTI
- Le 7 septembre, rassemblement devant les locaux de l’APTM (*), organisé par la  MTI
- Le 23 novembre 81 puis encore le 19 février 82, rassemblement devant le Ministère de la Solidarité  organisé par la MTI
- Le 17 février 82,  occupation de la DDTE à Paris, organisé par la MTI
- Le 28 novembre 8,  manifestation de deux mille personnes à l’appel des PAE
- Le 5 décembre, manifestation à l’appel du Comité de Coordination des sans papiers
- Le 12 décembre manifestation à l’appel de la MTI  (15 000 personnes à Barbés)

Toutes les mobilisations avaient pour but de créer un rapport de force permettant de modifier les conditions de la régularisation imposées par le gouvernement, et d’accélérer la procédure de traitement des dossiers dans les guichets uniques et neutres (comme à l’APTM rue de Bercy à Paris).

L’argumentation principale des associations consistait à dire que les critères ne tenaient pas compte de la diversité des situations. Une liste assez proche de la réalité fut d’ailleurs présentée dans laquelle figuraient : les marchands ambulants, les réfugiés avec faux papiers, les faux étudiants, les employées de maison, les employés saisonniers du tourisme, les saisonniers agricoles, les anciens bénéficiaires de l’aide au retour de Stoléru, les expulsés revenus, les intérimaires ... Autant de situation que ne prenaient pas en compte les critères du gouvernement (notamment la condition d’un travail “ stable ” ).


Les marchands ambulants constituent une catégorie particulière puisque petits commerçants “installés” à leur compte alors que la régularisation ne concernait en principe que les employés. De fait les  associations de la MTI ont vu affluer de nombreux marchands ambulants dans les permanences et ont été obligées de poser leur cas spécifique. Parmi les quinze mille dossiers de régularisation déposés par la MTI, près de 1.100 concernaient les marchands ambulants. En novembre 1981 une assemblée générale des marchands ambulants désigne un comité. Le 26 mars 1982 n’ayant reçu aucune réponse du gouvernement les marchands ambulants soutenu par la MTI occupent l’église St-Merri dans le 12è à Paris. Quarante volontaires parmi les marchands ambulants vont commencer une grève de la faim le 27 mars. Elle devait durer jusqu’au 23 avril 1982 et se terminer avec la régularisation de la quasi totalité des 1100 marchands ambulants. (pour plus de détails sur cette mobilisation des marchands ambulants se cf. la revue Mémoire Fertile de février 1988).


Durant toute la période, de nombreuses grèves vont éclater dans plusieurs villes. 

Grèves de la faim en 81-82

Date

Ville

Nre Grévistes

Nationalité

Durée en jour

1981

 

 

 

 

22/24

Massy

21

Tunisienne

18

09/05

Châlon Sur Saone

20

Maghrébins

20

09/05

Montrouge

16

Egyptienne

---

1982

 

 

 

 

02/02

Avignon

114

Marocaine

---

07/02

Nîmes

105

Marocaine  & Tunisienne

12

27/03

Paris 12e

40

Marocaine, Egyptienne & Tunisienne

28

18/10

Paris 13e

20

Africaine

---

04/11

Nice

18

Diverses

20

17/12

Lille

15

Marocaine & Algérienne

---

(source. J. Sémeont. Thèse 1995)

 


Finalement cette procédure et les luttes engagées  ont permis la régularisation  de 130 000 sans papiers. Une enquête de terrain a montré que:
- plus de 90% des régularisés avaient un emploi au moment de leur dépôt de dossier.
- les secteurs d’activité concernés étaient le Bâtiment et Travaux Publics (30%), l’hôtellerie, la restauration (12%), le textile-Habillement (11%), l’agriculture (11%), le commerce (10%).
- 42% des régularisés travaillaient dans des entreprises de 5 salariés au moins.
- les 3 principales nationalités qui ont bénéficié de la régularisation sont les Turcs, les Tunisiens et les Marocains. (sources: Bilan de la lutte contre les trafics de main d’oeuvre étrangère. 1983. La Documentation Française).


Cette rétrospective permet de relever les traits saillants du mouvement. Il apparaît clairement que les réglementations, comme les luttes et les régularisations qui s’en suivirent de 1972 à 1982 ont pour caractéristique la relation entre le séjour et l’emploi. Et comme le signale C. Bruschi dans la revue Migrations et Société (juin 89) : “ De 1960 à 72 alors que la croissance battait son plein, l’arrivée massive d’immigrés en marge de l’Ordonnance de 1945 correspondait à un objectif parfaitement identifié de recours à une main-d’oeuvre peu qualifiée et peu chère. Le changement intervenu entre 1972 (circulaire Marcellin-Fontanet, première mesure restrictive puisque le texte demande la stricte application de l’Ordonnance de 1945) et 1975 (décret instituant l’opposabilité de la situation de l’emploi) signifiait qu’on entrait dans une ère différente ”. De même “ la régularisation exceptionnelle de 1981-1982 correspondait à un emploi étranger spécifique qui s’était maintenu jusqu’au début des années 80 pour quasiment disparaître après. La régularisation exceptionnelle a eu encore un sens économique. Ses derniers soubresauts terminés, on réinsiste avec force sur la lutte contre les clandestins qui passe par la répression du séjour irrégulier et un contrôle accru des frontières”.

C’est justement cette deuxième caractéristique qui est à la base des restrictions mises en évidence depuis 1983-84 et renforcées par la loi Pasqua 1 de 1986. Et, poursuit C. Bruschi “ Ces restrictions révèlent que l’opposabilité de la situation de l’emploi n’a plus l’utilité qu’on lui prêtait. C’est elle qui avait été le pivot de la politique du septennat de Giscard : la mise en rapport direct du chômage et de l’immigration devait limiter, voire stopper celle-ci et éventuellement provoquer des retours qui auraient diminué le volume de la main-d’oeuvre immigrée. Cette orientation répondait à un besoin encore important d’une main-d’oeuvre étrangère transformée en main d’oeuvre clandestine à moindre coût. Le développement du travail précaire a rendu ce besoin moins pressant. De plus, d’autres types d’immigration se sont renforcées : l’immigration familiale, l’asile politique certes, mais aussi l’immigration scolaire (...). L’opposabilité de la situation de l’emploi n’est pas l’instrument le mieux adapté pour s’opposer à ces immigrations, c’est l’entrée même sur le territoire qui devient décisive ”.

 

4. 1991/92 : LA LUTTE DES DEBOUTES DU DROIT D’ASILE

Cette nouvelle politique et ces restrictions annoncent déjà quelles seront les catégories qui seront les victimes potentielles et par conséquent les luttes des sans papiers à venir : D’une part les demandeurs d’asile déboutés (DAD) et de l’autre toutes les catégories qui relèvent du droit de vivre en famille.
Face à ces restrictions et à la politique de fermeture des frontières visant en particulier les non-communautaires, de nombreux candidats à l’immigration vont chercher à contourner les obstacles en utilisant la procédure de demande d’asile. Nombreux sont ceux qui, à cause des lourdeurs dans le traitement des dossiers de l’OFPRA, se verront déboutés du droit d’asile et invités à quitter le territoire après plusieurs années d’attente et de présence en France. 


Le mouvement de grève de la faim des déboutés du droit d’asile va commencer avec la grève de Bordeaux et se poursuivre durant huit mois dans de nombreuses autres villes.


La grève de la faim de 83 déboutés turcs et africains (en particulier zaïrois) de l’église St Joseph des Nations à Paris 11è était soutenue au départ par le Réseau d’Information et de Solidarité (RIS) (*). Avec la publication de la circulaire du 21 juillet 1991 du Ministère des Affaires Sociales le soutien va peu à peu se réduire à quelques associations, en particulier la FASTI, ainsi que quelques militant(e)s d’autres associations à titre individuel. Mais plus le soutien se réduisait plus le nombre de grèves et de grévistes augmentait. En effet, d’avril 1991 à septembre 1992, près d’une soixantaine de grèves ont éclaté dans plusieurs villes regrouperont environ 1500 grévistes. 


Le mouvement de grèves de la faim va se dérouler en trois séquences : une première vague, au printemps 91 avec environ 250 personnes en grèves, une seconde de même ampleur  en été 91 et surtout une troisième série de grèves en 1992 avec près de 900 grévistes. La défection du RIS obligea les associations qui continuaient à soutenir les grévistes à constituer la “ Coordination de Soutien aux Déboutés du Droit d’Asile ”.


Les caractéristiques essentielles de ce mouvement de 1991-92 sont bien évidemment la surreprésentation de la communauté Turque/Kurde (plus de 60% des grèves), le nombre de personnes par grève (30 en moyenne avec des maximum de 83) et enfin la durée particulièrement longue d’un grand nombre de grèves. C’est d’ailleurs ce qui distingue cette période de celle des années 1972-73 ou encore 1981-82.


A l’issue de ce large mouvement de grèves de la faim il y eut environ dix sept milles (17 000) régularisations sur une population de déboutés du droit d’asile que les estimations évaluèrent entre 50 000 et 100 000 personnes.


 

Grèves de la faim des déboutés du droit d’asile (1991-92)

 

5. 1994/95 : MOBILISATION POUR LE DROIT DE VIVRE EN FAMILLE

Dès le mois de mai 1995, des dizaines de familles et notamment des parents étrangers d’enfants français, refusant d’être confinées dans un statut de “ non-expulsables / non-régularisables ” se regroupent et décident d’entamer une action collective contre le statut passablement kafkaïen dans lequel les enfermaient les lois Pasqua de 1993.


Après plusieurs semaines de discussions avec les associations de la Coordination Française pour le Droit de Vivre en Famille, six parents d’enfants français se mettent en grève de la faim dans des locaux, , mis à leur disposition par la CIMADE, dans le 15è arrondissement à Paris.


Cette grève aura eu le mérite de poser sur la place publique les incohérences et les injustices des lois Pasqua concernant notamment le droit de vivre en famille. De fait, avec la constitution du nouveau gouvernement, après les élections présidentielles de 1995, le Ministre de l’Intérieur, reconnaissant du même coup ces incohérences, va publier une circulaire, en date du 13 juin, qui demandait aux Préfets “ d’examiner de façon très spécifique et personnalisée ” les dossiers concernant les parents d’enfants français. La grève prendra fin avec la promesse de régularisation des grévistes et le principe de l’étude des autres dossiers.


Cette grève de la faim de mai/juin 95 n’est en fait que la partie la plus médiatisée des combats et mobilisations autour de la défense du droit de vivre en famille et en France.


A partir de 1994-95, de nombreux jeunes, entrés hors regroupement familial, après avoir vécu de longues années en France auprès de leurs familles, après de longues années de scolarité en France, se voient, à leur majorité “ invités à quitter le territoire ” et menacés d’expulsion. Certes ce problème est déjà relativement ancien puisque posé depuis 1984 en lien avec les nouvelles mesures restreignant le regroupement familial. Cependant, avec les lois Pasqua, il prend des proportions insupportables.


Les réactions contre ces expulsions vont elles aussi se multiplier et les batailles se mener pied à pied avec la police et le gouvernement, en particulier dans les quartiers et dans les collèges. Un nouveau phénomène va prendre forme : une réelle solidarité de proximité, concrète et efficace. Le “ clandestin ”, jusque là immigré anonyme et inconnu, va tout d’un coup prendre une forme, avoir une identité, un visage. C’est, ce peut être, le copain de la cité, le camarade de classe, le fils des voisins de palier...etc.


Ami(e)s, voisins, copains, profs, parents d’élèves...vont se mobiliser localement et remporter des victoires en empêchant nombres d’expulsions. Une partie de l’opinion serait-elle en train de prendre la mesure des lois Pasqua et peut être de toute la politique d’immigration menée durant toutes ces années ?


La grève des parents étrangers d’enfants français de mai 1995, va à son tour prolonger ce mouvement, sans arriver à ébranler la “ fermeté ” d’un gouvernement arc-bouté sur un dispositif que tous les juristes jugent absurdes. 


Huit mois plus tard, le 18 mars, des sans papiers, dont de nombreux parents d’enfants français, vont reprendre le chemin de la grève de la faim.


Ce retour sur l’histoire des mobilisations des sans papiers fait apparaître les quelques éléments importants suivants :


1. Ce sont les politiques successives de contrôle de l’immigration, à commencer par la fermeture des frontières, qui sont à la base de la création de ces catégories administratives que sont les “ clandestins ”, les “ illégaux ”, les “ irréguliers ” etc. Les mesures successives de contrôle et de restrictions vont paradoxalement générer de nouvelles catégories d’exclus.


2. Si les réglementations successives ont contribué à faire stagner les chiffres d’entrées de nouveaux travailleurs étrangers, elles ont aussi favorisé et accéléré du même coup l’installation définitive des migrants à travers, notamment, le regroupement familial. Dans le même temps, si les chiffres stagnent, les candidats à l’immigration n’ont pas diminué pour autant. Ils vont gonfler le nombre des “ irréguliers ” et des sans papiers, constituant ainsi une véritable armée de réserve pour les employeurs clandestins.


3. Les restrictions sont par conséquent à chaque fois plus draconiennes, puisque les précédentes n’ont visiblement pas suffi à juguler l’accroissement du nombre des sans papiers en France. Que de chemin depuis les circulaires Fontanet-Marcellin en 1972. Et à chaque fois de nouvelles catégories d’exclus apparaissent. On peut ainsi distinguer trois moments dans la mise en place de tout l’arsenal législatif :


- De 1970 à 1982/83, le critère de la situation et de l’opposabilité de l’emploi, à côté d’autres conditions certes, semble être déterminant dans toutes les procédures de régularisation des candidats à l’immigration et des sans papiers dans les périodes de mobilisations. Pour se faire régulariser sur le plan du séjour il faut avoir un emploi, un contrat de travail ou même une simple promesse d’embauche.
- Après 1983 et jusqu’en 1993 environ, on va assister à une inversion des critères et c’est la régularité de l’entrée et du séjour qui va être déterminante pour toutes régularisations, y compris pour le regroupement familial.


- Depuis 1993, avec les lois Pasqua, le Code de la Nationalité, la révision du droit d’asile, les restrictions en matière de vie familiale, de mariages, les certificats d’hébergement...jusqu’aux difficultés administratives pour renouveler les cartes de résidents, le risque de voir se développer une stratégie de déstabilisation des personnes en situation régulière pointe à l’horizon. La montée et la banalisation de la xénophobie, du racisme et surtout de la notion de “ préférence nationale ” sont certainement pour beaucoup dans ce dangereux glissement.


Mais, comme pour chaque phénomène, les mêmes causes produisant les mêmes effets, nous sommes donc enclin à penser que les mois et les années à venir verront encore des mouvements de résistance et de mobilisations non seulement des sans papiers mais aussi d’immigrés “ réguliers ”.

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